Le Protévangile

Les bergers dans les champs en plein hiver

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Maria Valtorta poursuit son récit. « La lune est au zénith et elle cingle tranquille dans un ciel tout constellé (...) Sur ma droite, je vois un endroit enclos sur deux côtés par une haie de ronces et sur les deux autres par un mur bas et grossier. Ce mur soutient le toit d'une sorte de hangar qui, à l'intérieur de l'enceinte est construit partie en maçonnerie, partie en bois en sorte qu'en été on doit enlever la partie faite en bois et le hangar se change en portique »30.1. Sous cet abri précaire, des bergers montent la garde et veillent sur leur troupeau, A sainte Mechtilde la Vierge Marie confia également : « Rien ne m'était nécessaire, puisque j'ai mis au monde sans douleur... » (Le livre de la grâce spéciale, chap. 5 § 10).

quand un pastoureau s'inquiète. Ses compagnons donnent l'alerte : « Appelez aussi les autres qui dorment et prenez des bâtons. Il y a peut-être une mauvaise bête ou des malandrins… »30.3.

Si la présence de l'âne et du bœuf lors de la Nativité semble unanimement admise (ou tolérée ?), il en va bien autrement de la présence des bergers cette nuit là. Depuis un ou deux siècles, nombre de critiques ont contesté que la naissance ait pu se dérouler en hiver, du fait que les bergers étaient la nuit dans les champs à garder les troupeaux(Lc 2,8-11). Certains en font même un argument pour réfuter la possibilité que Jésus soit né un 25 décembre194. Cette affirmation fut reprise comme une évidence jusqu'à nos jours par tous ceux qui cherchent à nier l'historicité du récit de saint Luc. Même Henri Daniel-Rops affirmait avec un certain aplomb : « Les troupeaux (...) passaient l'hiver dans des bergeries, et ce détail suffit à prouver que la date traditionnelle de Noël en hiver a peu de chance d'être exacte, puisque l'Évangile nous dit que les bergers étaient aux champs195 ».

Cet argument injustifié et même fallacieux ne peut être reçu que par des personnes ayant une méconnaissance des us rurales au cours de l'histoire196. Dans l'antiquité les éleveurs de moutons pratiquaient la transhumance durant toute l'année. « Les Arabes, les Phrygiens, les Ciliciens, peuples pasteurs qui, hiver comme été, errent avec leurs troupeaux dans les plaines et dans les montagnes... » nous dit Cicéron197. Il ne pouvait en être autrement en Palestine, du fait des précoces étés secs et torrides en plaine, obligeant les bergers de se réfugier sur les hauteurs, dans les monts de Judée ou de Haute Galilée. Et comme il n'était pas possible de stocker suffisamment de foin en plaine durant l'été trop sec, le moutons vivaient donc nécessairement en pâture pendant les mois d'hiver198.

Maria Valtorta décrit donc le parcage des brebis pour la nuit, dans une bergerie rudimentaire, sous la surveillance des bergers.

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L'explication décisive de cette surveillance nocturne se trouve dans Pline : « L'accouplement a lieu entre le 13 mai et le 23 juillet car les agneaux qui naissent en hiver sont préférés : plus vigoureux, ils résistent ensuite mieux aux grandes chaleurs de l'été199 ». Et Pline ajoute même : « Le mouton est le seul des animaux à qui il soit avantageux de naître l'hiver ». Autour de Jérusalem, ce choix s'imposait aussi pour une autre raison : la Pâque. La célébration pascale pouvait remplir la ville de cinq à six cent mille pèlerins200. Il fallait donc disposer, rien que pour les sacrifices, d'au moins cinquante à cent mille agneaux201, tous mis bas au cours de l'hiver. Et le souci de tout bon berger, en période d'agnelages intensifs impose, encore de nos jours, de surveiller son troupeau nuit et jour !

Les douze bergers de Bethléem sont maintenant tous hors de leur abri. « Au-dessus de l'arbre regardez cette lumière qui arrive. On dirait qu'elle s'avance sur un rayon de lune. La voilà qui approche. Comme elle est belle ! (...) C'est un… c'est un ange ! »30.3. La suite du récit de Maria Valtorta est conforme à la narration transmise par Luc (Lc 2,9-20). Elle précise que les bergers « s'en vont éclairés par la lune et des torches après avoir fermé le hangar et l'enceinte »30.6.

moutons bio en Auvergne : « Sélectionné depuis le début sur la rusticité, le troupeau a passé deux ans en plein air intégral, agnelant en plein hiver sans aucun problème pour les agneaux », témoigne-t-il sur son site Internet.

Et c'est à nouveau l'occasion de souligner combien le texte de Maria Valtorta regorge de ces détails en apparence futiles, voire superflus, mais qui renforcent tant la crédibilité de l'ensemble. Ainsi par exemple, lorsque le berger Elie demande à Marie : « Tu n'as pas de parents à qui faire savoir que ton Fils est né ? » « Oui, j'en aurais. Mais ils ne sont pas près d'ici. Ils sont à Hébron… » « J'y vais moi » dit Élie. « Qui sont-ils ? » « Zacharie, le prêtre, et Elisabeth ma cousine »30.8. Quelques jours après la naissance, Zacharie vient donc rendre visite à Marie et Joseph, leur apportant quelques présents utiles, et il les dissuade de retourner à Nazareth : « Nazareth ? Mais vous devez rester ici. Le Messie doit grandir à Bethléem. C'est la Cité de David. Le Très-Haut l'a amené par l'intermédiaire de la volonté de César à naître dans la terre de David, la terre sainte de la Judée. Pourquoi le porter à Nazareth ? Vous savez comment chez les Juifs on juge les Nazaréens. Demain, cet Enfant devra être le Sauveur de son peuple. Il ne faut pas que la capitale méprise son Roi parce qu'il vient d'une région qu'elle méprise »31.4. Marie se plie aux arguments de son cousin: « Tu le dis prêtre, et nous… et nous… avec douleur nous t'écoutons… et te donnons raison. Mais quelle douleur ! Quand verrai-je cette maison où je suis devenue Mère ? »31.5. Pourquoi Joseph ne retourna-t-il pas à Nazareth ni avant, ni après la présentation au Temple, et demeura à Bethléem jusqu'à la fuite en Égypte ? Cette question partagea les exégètes au cours des siècles, et aucun ne semble y avoir jamais apporté une réponse aussi convaincante. Maria Valtorta fournit ici une explication logique et tout à fait originale au séjour prolongé de la sainte famille à Bethléem.

A la fin de sa première année de vie publique, Jésus confirme cet épisode, en évoquant le souvenir de son cousin Zacharie : « il devint un esprit juste, lorsque sur l'orgueil de l'homme tomba le démenti de Dieu. Il avait dit : « Moi, prêtre de Dieu, je dis que c'est à Bethléem que doit vivre le Sauveur », et Dieu lui avait montré comment un jugement, même celui d'un prêtre, s'il n'est pas éclairé par Dieu, est un pauvre jugement. En pensant avec horreur : « Je pouvais faire tuer Jésus, avec mes paroles », Zacharie devint le juste qui maintenant repose en attendant le Paradis. Et la justice lui enseigna la prudence et la charité. Charité envers les bergers, prudence à l'égard du monde pour lequel le Christ devait être inconnu »136.9.

Notes de bas de page

194
Un des premiers contestataires fut probablement La Nauze, Mémoires de l'Institut Impérial de France1815-1831, tome IX p 91.

195
Henri Daniel-Rops, La vie quotidienne en Palestine au temps de Jésus1961, p. 280.

196
Il est vraiment surprenant que de nos jours encore, certains auteurs se satisfassent de ce piètre argument pour affirmer que Jésus n'a pas pu naître en hiver !

197
Cicéron, de DivitationeXLII.

198
De nos jours encore, malgré le grand froid, les moutons de pré-salé restent en pâture en hiver, sur les hauteurs du Cap Hornu. en Baie de Somme! Voir aussi le site de cet éleveur de (suite page suivante...)

199
Pline l'ancien, Histoire Naturelle, Livre VIII.

200
Tacite, Histoire, Livre V chap. 13.

201
Flavius Josèphe donne le chiffre de 255 600 bêtes sacrifiées, rien que pour la Pâque, mais cela paraît tout de même un peu excessif.

📚 Source : L'énigme Valtorta par Jean-François LavèreTome 1Tome 2