Le Protévangile

La présentation de Marie au Temple

6 min

Il semble que le plus ancien document connu mentionnant la présentation de Marie au Temple, à l'âge de trois ans, soit le protévangile de Jacques, un apocryphe de la fin du 1er siècle ou du tout début du 2e siècle. Il existe de multiples manuscrits anciens de cet ouvrage, dans des versions en grec, syriaque, arménien, éthiopien, géorgien, vieux-slave, arabe, copte, sans compter les versions latines. De nombreux Pères de l'Église l'ont signalé comme digne d'intérêt73, du moins dans ses premiers chapitres. Deux autres ouvrages anciens évoquent aussi l'enfance et la jeunesse de Marie : l'évangile apocryphe du pseudo-Matthieu74, et l'Evangelium de Nativitate sanctae Mariae75. Les Pères de l'Église n'ont pas dédaigné ces livres, tout en sachant bien avant nous qu'ils ne sont pas canoniques. Ils ont simplement su admirablement ne pas prêter attention aux éventuels détails puérils, risibles ou même choquants qu'ils contiennent parfois.

C'est sur la foi de ces écrits mais aussi des transmissions ou traditions orales que la plupart des Pères de l'Église et des écrivains, entre les 4e et 9e siècles, ont considéré cette présence de Marie au Temple comme un fait bien établi. Par exemple saint Grégoire de Nysse résume ainsi le protévangile : « le père de cette sainte Vierge était un Israélite d'une piété insigne, qui avait une femme stérile, laquelle, à cause de sa stérilité, ne pouvant avoir part aux prérogatives des femmes qui avaient eu des enfants, demanda à Dieu qu'il lui plût de bénir son mariage, et en même temps lui voua le fruit qu'elle mettrait au monde. Dieu lui accorda la Vierge Marie, qui fut élevée au Temple, jusqu'au temps qu'on la donna à Joseph pour être le gardien de sa virginité76 ». Plus tard, saint Jean Damascène se réfère sans doute lui aussi au protévangile de Jacques quand il écrit : « Quand elle eut été amenée devant le Temple du Seigneur, Marie gravit en courant les quinze marches sans se retourner pour regarder en arrière et sans regarder ses parents comme le font les petits enfants. Et cela frappa d'étonnement toute l'assistance, au point que les prêtres du Temple eux-mêmes étaient dans l'admiration77 ». Personne, jusqu'à la fin du 16e siècle ne semble avoir nié ni même mis en doute cet épisode de la vie de la Vierge Marie, qui fut parfois contesté ensuite, et ceci jusqu'à nos jours.

On ne s'étonnera donc pas de trouver à plusieurs reprises dans l'œuvre de Maria Valtorta l'évocation du séjour de Marie au Temple78. Cependant, tout en restant globalement compatible avec le récit du protévangile, son texte présente de nombreux détails originaux qui permettent de supposer que les apocryphes n'ont pas été sa source d'inspiration. Conformément à leur vœu, Anne et de Joachim confient la petite Marie au Temple à l'occasion de son troisième anniversaire79, donc durant l'automne -1880. L'heure de la douloureuse séparation venue, Joachim peut murmurer dans un soupir : « nous ne trouverons pas une autre offrande pour racheter celle-là »8.2 car la possibilité du rachat des vœux était effectivement une disposition prévue par la Loi81. Elisabeth et Zacharie accompagnent les vieux parents, et tentent de les réconforter82 : « La prophétesse Anne aura grand soin de cette fleur de David et d'Aaron »8.3 déclareZacharie83. Puis il constate : « En ce moment, c'est l'unique lys de sa descendance sainte que David ait au Temple. C'est d'une vierge de la race de David que sortira le Messie »8.3. Sans doute fait-il alors allusion à Isaïe (Is 7,13-14), qui, prophétisant qu'une vierge enfantera un fils, commence en effet par ces mots : « Ecoutez donc, Maison de David ! »

Zacharie continue à rassurer ses cousins : « Je suis prêtre et j'ai mes entrées. J'en profiterai pour cet ange. Et Elisabeth viendra souvent la voir »8.3. Demeurant à Hébron, ils pourront en effet venir plus facilement que Joachim et Anne qui vivent à Nazareth. « Nous somme exactement entre la troisième et la sixième heure... Ce serait le moment d'y aller »8.4 ajoute-t-il. Cette remarque aussi est pertinente, puisque la bible confirme que c'est au milieu de la matinée qu'avait lieu l'offrande matinale (Selon Ex 29, 38-39 ; Ex 30, 7 ou Nb 28, 3-4).

Tandis que le groupe s'avance, Maria Valtorta observe les alentours : « Les voilà au pied d'un vaste cube de marbre couronné d'or (...) l'escalier monumental qui conduit au Temple (...) la gigantesque porte de bronze et d'or »8.5. Ceci est conforme aux descriptions transmises par l'historien Flavius Josèphe : le Temple avait la forme d'un vaste cube, auquel on accédait par un escalier monumental de quinze marches circulaires. Il était entouré à son sommet de pointes d'or pour éloigner les colombes ou les pigeons. Pourtant dans cette description un détail nous surprend : « Chaque coupole convexe qui ressemble à une moitié d'une énorme orange resplendit au soleil »8.5. En effet aucune des plus récentes maquettes du Temple ne laisse apparaître de coupoles d'or. Maria Valtorta aurait-elle rêvé ? Il ne semble pas, à lire ce témoignage de Maïmonide84 : « A droite du Temple, un grand pavillon, la Maison du Feu est reconnaissable au dôme qui le coiffe ».

L'arrivée du Grand-Prêtre, venu en personne accueillir Marie sur le parvis du Temple, est une nouvelle occasion d'apprécier le soin extrême avec lequel Maria Valtorta décrit ce qu'elle observe. Elle en détaille minutieusement les vêtements, en conformité avec les différentes sources historiques. Mais l'absence de tout terme spécifique (tels que tiare, rational, pectoral ou éphod)85 semble un indice qu'elle n'a pas puisé ses informations dans la bible (Par exemple dans Ex 28).

Marie « se sépare de son père et de sa mère et elle monte, comme fascinée elle gravit les marches »8.6. L'évangile apocryphe du pseudo-Matthieu indique même que Marie « gravit en courant les quinze marches du Temple ». Malgré son très jeune âge, le pontife l'interroge : « Marie de David, est-ce ton vœu ? Un “oui” argentin lui répond, il s'écrie : Entre, alors, marche en ma présence et sois parfaite »8.6, et Maria Valtorta observe : « Quelle hostie plus pure avait jamais vu le Temple ? »8.6. Ainsi commence le séjour de Marie au Temple86.

Notes de bas de page

73
On peut citer, entre autres, saint Justin (mort vers 165) dans le Dialogue avec Tryphon; Tertullien qui en cite un passage ; Origène qui s'y réfère explicitement dans le Commentaire de S. Matthieu; Clément d'Alexandrie qui évoque « les traditions répandues sur le merveilleux enfantement de la Vierge» ; saint Eusthate d'Antioche (mort en 338) qui écrit « Elle est vraiment digne d'être parcourue, l'histoire qu'un certain Jacques raconte de la vierge Marie» ; puis encore saint Grégoire de Nysse ; saint Epiphane ; saint Sabas ; Romanus et de très nombreux autres saints au cours des siècles.

74
Egalement nommé Liber de ortu beatae Mariae et infantia Salvatoriset dont la date n'est pas exactement connue. Saint Epiphane (4e siècle) en parle sans le condamner (Heresia 59), de même que Saint Grégoire de Nysse, ce qui fait dire à Baronius qu'il n'est pas à dédaigner (Apparatus ad Annales 46).

75
Cet ouvrage est daté de la fin du 5e siècle, mais selon Dom Calmet il aurait pu être composé par Séleucus, auteur du second siècle. Il traite à peu près du même sujet que les précédents, mais de façon plus brève (il s'achève à Noël). Jacques de Voragine l'incorpora presque intégralement dans sa Légende dorée (vers 1265).

76
Saint Grégoire de Nysse (né vers 335, mort après 394) cité par Dom Calmet.

77
Saint Jean Damascène (676-749), Première homélie pour la nativité de la Vierge Marie.

78
Comme par exemple quand Jésus, évoquant la prime enfance de Marie, déclare : « Elle n'avait pas encore trois ans car elle n'était pas encore au Temple»196.3.

79
On peut noter que c'est justement à partir de l'âge de trois ans que, selon la loi rabbinique, une fillette devenait « ketannah », c'est-à-dire « petite » ou « mineure ». (selon Judaïc Encyclopedia 1901-1906). Sainte C. Emmerich précise quant à elle que Marie avait tout juste trois ans et trois mois lorsqu'elle fut conduite au Temple.

80
Marie étant née le 8 sept. -21, soit le 10 tishri 3741 d'Israël, son 3ème anniversaire, le 10 tishri 3744 correspond théoriquement au lundi 5 octobre -18 julien. La tradition orientale fixe au 21 novembre la présentation au Temple depuis (au moins) le 6e siècle. Le récit de Maria Valtorta est compatible avec cette date, qui fut retenue aussi par Grégoire XI en 1372, puis rendue obligatoire dans toute l'Eglise par Sixte V en 1585.

81
En application de Lévitique 27,1-8, Joachim aurait pu racheter l'offrande de Marie en versant trente sicles au Temple.

82
La présence, ce jour là, de Zacharie, prêtre du Temple en exercice, est mentionnée par saint Germain de Constantinople et par saint Georges de Nicomédie, et leur témoignage est confirmé par plusieurs autres écrivains ecclésiastiques.

83
C'est aussi ce qu'affirme Marie d'Agréda : Anne de Phanuél fut une des maitresses de Marie au Temple. (Vie divine de la Très Sainte Vierge Marie, chap. 8 par V. Viala 1916 éd. Téqui p 53).

84
Maïmonide, Lois de la maison d'élection, Chap. 5, 10. Moïse Maïmonide (1138-1204) fut un célèbre philosophe juif, commentateur de la Mishna.

85
Ces termes apparaissent ultérieurement à plusieurs reprises dans l'œuvre, mais alors, ils sont « prononcés » par Jésus.

86
Notons que dans le Coran, Surate 3 Al' Imram, v 37, le séjour de Marie au Temple est également évoqué.

📚 Source : L'énigme Valtorta par Jean-François LavèreTome 1Tome 2