La distance sabbatique
La prescription du livre de l'Exode ne fixait pas une distance précise. Il était autorisé de se déplacer seulement de « la place du sabbat à l'endroit où se trouvait la nourriture » dans le désert. La Torah fixa cette distance à 12 mil (8 miles)363. Avec la construction des villes, et en particulier de Jérusalem, les sages réduisirent cette distance à 1 mil, soit 2000 amot364, en dehors des murs de la cité, considérée alors comme la place du sabbat (Minchat Chinuch). C'est le rabbi Gamaliel qui fixa définitivement cette règle. Et c'est ainsi qu'on peut entendre dans l'œuvre : « Nous avons marché pendant un mil, et puis nous nous sommes arrêtés, comme la Loi le prescrit, et nous avons bu l'eau d'un ruisseau »217.3.
Mais l'usage courant pouvait fort bien faire que cette distance ait été exprimée dans le système de mesure hérité des grecs : « demain c'est la Parascève et, après le coucher du soleil, on ne peut parcourir que six stades. On ne peut faire plus parce que le repos du sabbat est commencé »194.4. Cette distance de six stades (6 stades valent 1092 m), donnée à plusieurs reprises dans l'œuvre, est à la fois cohérente et plus convaincante que les diverses estimations données par certains exégètes365. Et elle rend également compte de la longue occupation grecque de la Palestine.
L'interdiction de travailler le jour du sabbat engendrait toutes sortes d'interrogations. Par exemple était-il permis de se déplacer en barque ce jour là ? Jésus et ses apôtres y répondent par l'affirmative, comme dans cette réflexion désabusée de Pierre: « Nous venons juste de débarquer au "Puits du figuier" venant de Bethsaïda, pour ne pas faire un pas de plus qu'il n'est permis... Il m'a interrogé et j'ai répondu en disant aussi que nous avions évité de marcher, par respect pour le sabbat ». « Ils diront que nous avons fatigué avec la barque ». « Ils en arriveront à dire que nous avons fatigué en respirant ! Imbécile ! C'est la barque qui fatigue, c'est le vent et l'eau, pas nous quand nous allons en barque »263.1. Et de fait, les déplacements en barque semblaient être admis, à condition que ce soit à l'aide exclusive de la voile.
Une autre question était de définir exactement le début et la fin du sabbat. Cette question fut débattue durant des siècles. Pour déterminer le début du sabbat, les sages conseillèrent d'utiliser un fil rouge et un fil bleu entrelacés, qui étaient tenus devant la lumière décroissante, afin de déterminer le temps de la noirceur. C'était le début du Jour Saint, au moment où les couleurs ne pouvaient plus être distinguées. L'observation de trois étoiles de dimension moyenne a été aussi utilisée comme un moyen pour déterminer le début du nouveau jour366. « Le temps qui s'écoule du coucher du soleil au moment où apparaissent trois étoiles, s'appelle : Intra soles. Ce temps appartient-il au jour qui finit ou à la nuit qui commence ? » Maïmonide367, qui pose cette question, n'ose pas la résoudre. L'explication donnée par des scribes rejoignant Jésus un soir de sabbat mériterait donc un examen attentif de la part des spécialistes : « Et pour que personne ne pense que nous n'avons pas respecté le sabbat, nous disons à tous que nous avons partagé le parcours en trois temps : le premier jusqu'à ce que la dernière lueur du crépuscule eût vécu ; le second, de six stades, pendant que la lune éclairait les sentiers ; le troisième se termine maintenant et n'a pas dépassé la mesure légale »472.4.
Un jour, les circonstances entraînent le sanhédriste Jean à déroger à la règle : « Jean ! Mais… te sachant juste, je m'étonne de te voir avant le crépuscule… » « C'est vrai. J'ai violé la loi du Sabbat »409.1. Il demande au Maître le pardon de cette faute : « Et de péché en péché, j'en suis venu à violer la loi du sabbat. Absous-moi, Maître ». Jésus replace alors cette prescription là où il convient : « La loi du sabbat ! Grande et sainte loi ! Et loin de Moi la pensée de la juger de peu d'importance et périmée. Mais pourquoi la places-tu avant le premier des commandements ? »409.3. Et l'interdiction, selon l'école de Shammaï, même de prier pour la guérison d'un malade pendant le sabbat368 permet de mieux comprendre l'insistance avec laquelle Jésus, dans l'œuvre, interroge le pharisien Chanania avant d'opérer la guérison de l'hydropique chez Ismaël, un jour de sabbat335.5.13.