Des crocodiles dans la plaine de Saron
Le lecteur sera peut-être encore plus surpris quand, venant de Sycaminon et approchant de Césarée, la troupe apostolique aperçoit des petits sauriens ! Pierre demande : « Oh ! Que sont-ils ? Des Léviathans » « Tu as bien dit, Simon. Exactement ce sont des crocodiles, petits, c'est vrai, mais capables de t'empêcher de marcher pendant un bon moment ». « Et qu'est-ce qu'ils font là ? » « Ils y ont été amenés pour le culte, je crois depuis l'époque où les phéniciens dominaient le pays. Et ils y sont restés, en devenant de plus en plus petits mais pas moins agressifs pour autant, en passant des temples à la vase du cours d'eau. Maintenant ce sont de gros lézards, mais avec de ces dents ! ». (...) « Un gros lézard, il ne semble pas que ce soit autre chose, mais avec la tête classique de crocodile, se trouve en travers de la route faisant semblant de dormir »254.1.2. La présence de crocodiles dans la plaine de Saron a certes de quoi étonner, et pourrait sembler anachronique. Or Pline, dans son Histoire Naturelle évoque en ce lieu le Crocodilum flumen, tandis que le géographe Strabon parle des ruines d'une ville nommée Krokodeilon polis308. L'existence de ces petits crocodiles fut confirmée par plusieurs pèlerins tout au long des siècles. Signalons Jacques de Vitry (1230); R. Pockocke (1760); ou Joseph Fr. Michaud, qui confirme en 1831 : « ces crocodiles sont de la plus petite espèce ». Puis Victor Guérin en 1883 précise : « Il existe de petits crocodiles dans cet humble fleuve, et il ne faut pas s'y baigner sans précaution. (...) ils étaient petits et d'environ cinq à six pieds de long (...) des crocodiles auraient été jadis transportés d'Egypte en Palestine ».
La rivière et le pont décrits plus loin par Maria Valtorta existent également : la rivière se nomme le Nahr ez Zerqa309, et dans Lands of the Bible, 1881 McGarvey évoque les vestiges d'un pont ancien, à 1,5 km de l'embouchure de cette rivière.
On peut donc aussi accorder quelque crédit ou attention au dialogue qui suit cette rencontre inattendue : « Moi, je mourrais de peur si je devais en approcher » dit Marthe. « Vraiment ? Mais cela n'est rien, femme, à côté du vrai crocodile. Il est au moins trois fois plus long et plus gros ».
Le Nahr al Zarqa, la rivière aux crocodiles, « un cours d'eau toujours alimenté, même en été... un petit fleuve dont le lit est plutôt large »254.2
« Et affamé aussi, celui-là était rassasié de couleuvres ou de lapins sauvages ». « Miséricorde ! Des couleuvres aussi ! Mais où nous as-tu amenés, Seigneur ? gémit Marthe. Elle est si effrayée que tout le monde se laisse gagner irrésistiblement par l'hilarité ». Et à Marthe qui se demande: « Ils sont peut-être nécessaires ?» « Cela, il faudrait le demander à Celui qui les a faits. Mais crois bien que, s'Il les a faits, c'est signe qu'ils sont utiles, ne serait ce que pour faire briller l'héroïsme de Marthe, dit Jésus avec un fin scintillement dans les yeux ». « Oh ! Seigneur ! Tu plaisantes et tu as raison, mais moi j'ai peur et je ne me vaincrai jamais ». « Nous verrons cela »254.3.
Cette ultime remarque peut passer inaperçue ou paraître énigmatique à des lecteurs étrangers, mais elle prend tout son sens en France, pour qui connaît l'antique tradition provençale des Saintes Marie de la mer. Jacques de Voragine, dans La légende dorée, (1255) raconte : « Marthe, surmontant sa peur, débarrassa les riverains du Rhône, en aval d'Avignon, de la Tarasque, ce dragon à longue queue qui dévorait hommes et bétail ». Beaucoup d'historiens pensent qu'il s'agissait probablement d'un crocodile. Cet animal aurait atteint le Rhône après le naufrage d'un bateau qui le transportait vers quelque amphithéâtre voisin (probablement celui d'Arles). La Tarasque devint ainsi le symbole de la ville de Tarascon. Jacques de Voragine310 écrivait encore : « déliant sa ceinture, elle la noua autour de l'encolure du monstre, que ce geste rendit instantanément aussi doux qu'un agneau et qui se laissa docilement conduire jusqu'à la ville où les habitants le massacrèrent ». Et les commentateurs s'interrogent: « Que peut bien signifier ce geste accompli à l'aide de la ceinture et que cache-t-il ? ».
Les lecteurs de Maria Valtorta associeront certainement l'évocation de cette tradition médiévale avec ces propos de Jésus à Marthe: « Donne-moi cette main qui n'a jamais péché, qui a su être douce, miséricordieuse, active, pieuse. Elle a toujours fait des gestes d'amour et de prière. Elle n'est jamais devenue paresseuse. Elle ne s'est jamais corrompue. Voilà, je la tiens dans les miennes pour la rendre plus sainte encore. Lève-la contre le démon, et lui ne la supportera pas. Et prends cette ceinture qui m'appartient. Ne t'en sépare jamais, et chaque fois que tu la verras, dis-toi à toi-même: Plus forte que cette ceinture de Jésus est la puissance de Jésus et avec elle on vient à bout de tout: démons et monstres. Je ne dois pas craindre »231.7. Par ses écrits, Maria Valtorta, tout en nous dévoilant une curiosité historique peu connue, conforte donc la crédibilité d'une légende provençale ! Simple inspiration d'auteur ?