Préparation à la Passion de Jésus

La Cène pascale

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Maria Valtorta décrit minutieusement toutes les phases du repas pascal, apportant un démenti formel aux commentateurs qui osèrent prétendre qu'en ce jeudi soir, Jésus ne consomma pas vraiment la Pâque juive, au prétexte que saint Jean n'en parle pas explicitement. En outre le récit de la mystique italienne permet, de façon naturelle et crédible, de resituer dans l'ordre chronologique tous les témoignages évangéliques relatifs à la Cène. Cette réussite n'est pas anodine, si l'on se souvient que de nombreux commentateurs ont tenté de le faire avant elle, sans jamais y parvenir de façon satisfaisante.

Les apôtres ont tout préparé sur « une nappe très fine845. J'entends André qui dit : Quel lin splendide ! Et l'Iscariote: Un des meilleurs de Lazare. Marthe a voulu absolument l'apporter »600.1. Après les ablutions rituelles, chacun prend la place que Jésus lui indique. « C'est la soirée pascale ! (...) Consommons donc la cène dans un esprit de paix »600.5. Ils passent à table (Mt 26,20 ; Mc 14,17 ; Lc 22,14 ; Jn 13,2). Jésus verse le vin dans un grand calice et l'offre, puis le pain qu'Il distribue (Lc 22,17-20), tandis que les apôtres posent la question rituelle : « Pourquoi cette cérémonie ? »600.7, à laquelle Jésus répond : « Ce jour rappelle notre libération de l'Égypte... »600.7. Maria Valtorta remarque « la sauce rougeâtre846 qui est dans quatre saucières » dans laquelle ils trempent des herbes. Après le chant de psaumes, on apporte l'agneau rôti sur la table, et Pierre pose une seconde question rituelle : « Pourquoi cet agneau ainsi présenté ? »600.7. Ensuite, nous dit Maria Valtorta : « Tous se lèvent debout et entonnent : "Quand Israël sortit d'Égypte"... »600.7(Ps 114). Jésus déclare : « J'ai ardemment désiré de manger avec vous cette Pâque... »600.7. (Lc 22,15-18), et Il évoque une nouvelle fois son Royaume. Barthélemy, peut-être déçu de ne pas être à la meilleure place, aux côtés de Jésus, demande : « Comment alors pouvons-nous savoir qui est le premier d'entre nous ? »600.8. La réponse de Jésus nous est transmise par Luc (Lc 22,24-30). Puis Il ajoute que beaucoup auront une place dans le Royaume : « Tous ceux qui auront été fidèles au Christ dans les épreuves de la vie seront des princes dans mon Royaume »600.8. Pierre se rassure : « Nous avons persévéré jusqu'à la fin ». « Tu le crois, Pierre ? Et Moi, je te dis que l'heure de l'épreuve n'est pas encore venue. (...) toi, quand tu te seras repenti847, confirme tes frères »600.9 lui réponds Jésus. (Lc 22,31-32). Et Il met en garde ses apôtres : « Mais maintenant les anges ont tous été rappelés par leur Seigneur. C'est l'heure des démons (...) Maintenant que celui qui a une bourse prenne aussi une besace, que celui qui n'a pas d'épée vende son manteau et en achète une »600.9(Lc 22,35-38). Simon le zélote se lève et montre à Jésus les deux épées que lui et Pierre se sont procurés par prudence. « C'est bien, elles suffisent848. Tu as bien fait de les prendre »600.10. observe Jésus qui passe immédiatement à un autre sujet : « Mais maintenant, avant que l'on boive le troisième calice849, attendez un moment. Je vous ai dit que le plus grand est pareil au plus petit et que Moi je suis le serviteur à cette table, et que je vous servirai davantage »600.11.

Pour le don que Jésus va faire à ses apôtres, la purification reçue par le baptême au Jourdain ne suffit pas... « Venez que je vous purifie. Suspendez le repas »600.11. C'est maintenant la cérémonie du lavement des pieds850(Jn 13,4-9), dont Maria Valtorta nous donne un compte rendu conforme à celui de Jean, et encore plus explicite quant à sa finalité. Ainsi lorsque le zélote, s'inclinant devant Jésus supplie : « Purifie-moi de la lèpre du péché comme tu m'as purifié de la lèpre du corps, pour que je ne sois pas confondu à l'heure du jugement, mon Sauveur ! »600.11. Ou encore Matthieu, qui se sent indigne : « Je suis pécheur, Maître. Pas à moi… » « Tu étais pécheur, Mathieu. Maintenant tu es l'Apôtre. Tu es une de mes "voix" »600.11. « Maintenant vous êtes purs, mais pas tous. Seulement ceux qui ont eu la volonté de l'être »600.11(Jn 13,10-11). C'est le moment de la troisième libation, et tous entonnent en chœur les Psaumes (Ps 116,1-19 ; Ps 117 ; Ps 118). Jésus découpe l'agneau et distribue des parts à chacun puis Il reprend la parole : « Je veux que vous compreniez mon geste de tout à l'heure »600.13. (Jn 13,12-20). Remplissant une quatrième fois la coupe, après l'avoir distribué, il entonne debout le psaume final. « Beau… mais sans fin ! Je crois le retrouver, pour le commencement et la longueur, dans le psaume 119851 »600.13, constate avec franchise la visionnaire.

« Maintenant que l'ancien rite est accompli, je célèbre le nouveau rite. Je vous ai promis un miracle d'amour. C'est l'heure de le faire. C'est pour cela que j'ai désiré cette Pâque »600.14. C'est l'heure de l'institution du sacrement de l'Eucharistie : « Je m'en vais, mais nous resterons unis pour toujours grâce au miracle que maintenant j'accomplis »600.14.(Mt 26, 26-29 ; Mc 14, 22-25 ; Lc 22, 19-20 ; 1 Co 11,23-26). Maria note que Jésus partage le pain en treize morceaux. Il va en effet immédiatement rejoindre Marie pour l'associer à ce miracle852. Les évangélistes n'en disent rien, mais au 15e siècle, Fra Angelico n'hésita point à faire figurer la Vierge Marie sur sa fresque de la Cène.

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De retour auprès des apôtres, Jésus revient sur les gestes et le miracle qu'Il vient d'accomplir. « Je vous ai tout dit, et je vous ai tout donné. Et je répète. Le nouveau rite est accompli (...) Je vous ai lavé les pieds pour vous apprendre à être humbles et purs comme votre Maître (...)soyez purs. Pour être dignes de manger le Pain vivant descendu du Ciel... »600.16. Il semble parfaitement logique que le Seigneur évoque alors la trahison de l'un des siens : « Mais l'un de vous n'est pas pur »600.16.(Mt 26,21-25 ; Mc 14, 18-20; Lc 22, 21-23 ; Jn 13, 21-30). Les synoptiques placent cet épisode avant l'institution de l'Eucharistie. Mais l'enchainement donné par Maria Valtorta paraît plus cohérent, et permet d'insérer harmonieusement, dans le déroulement de la Cène, les témoignages de Jean et de Matthieu relatifs à la révélation de la trahison de Judas. « L'émoi est grand, mais le calme de Jésus l'apaise »600.17 observe Maria Valtorta tandis que Jésus laisse partir Judas : « Tout est accompli, ici.(...) Ce qui reste encore à faire ailleurs, fais-le vite, Judas de Simon »600.17.

Le traitre étant sorti, Jésus se lève de table et rassemble les apôtres autour de Lui. Il les éclaire sur le miracle eucharistique : « C'est un miracle qui, par sa forme, sa durée et sa nature, par son étendue et les limites qu'il atteint, est le plus fort qui puisse exister. Je vous le dis : il est si puissant, surnaturel, inconcevable pour l'homme orgueilleux, que bien peu le comprendront comme il doit être compris et que beaucoup le négligeront »600.19. Il poursuit : « Mes petits enfants, c'est pour peu de temps encore que je reste avec vous »600.21, (Jn 13,31-35). Il doit être alors environ 21h30853. C'est ensuite le temps de l'annonce du reniement de Pierre (Lc 22,31-34 ; Jn 13, 36-38) que Matthieu et Marc (Mt 26,33-35 ; Mc 14,29-31), sans doute peu soucieux de restituer une chronologie rigoureuse, ont préféré situer hors du Cénacle, sur le chemin qui mène au Gethsémani.

Saint Jean consacre, dans son évangile, quatre chapitres à ce dernier enseignement du Christ, juste avant son arrestation(Jn 14 à 17 inclus). Pendant encore une heure854, Jésus encourage, réconforte, éclaire et donne d'ultimes conseils. Le compte rendu de Maria Valtorta est bien entendu compatible avec celui de saint Jean. Par la spontanéité et la véracité des dialogues, il nous rend présent et vivant le récit de cette heure tragique et nourrit notre méditation sur le mystère de la Rédemption. A l'issue de cet enseignement, Jésus conclut par sa prière solennelle au Père, puis ordonne : « Mettons nos manteaux maintenant et partons »600.38.

La Cène pascale est achevée...

*

Quel théologien aura à cœur d'analyser ces ultimes gestes et paroles du Maître dans les heures qui précédèrent sa Passion, pour nous aider à en apprécier la quintessence. Dans un commentaire donné à Maria Valtorta, Jésus indique les pistes d'une telle étude. « De l'épisode de la Cène, en plus de la considération de la charité d'un Dieu qui se fait nourriture pour les hommes, ressortent quatre enseignements principaux »600.39, précise-t-Il :

« Un : la nécessité pour tous les fils de Dieu d'obéir à la Loi. (...) La Loi disait que l'on devait pour Pâque consommer l'agneau selon le rituel donné par le Très-Haut à Moïse et Moi, vrai Fils du vrai Dieu, je ne me suis pas considéré, à cause de ma qualité divine, comme exempt de la Loi... »600.39.

« Deux : la puissance de la prière de Marie. (...) J'étais Dieu fait Chair. Une Chair qui pour être sans tache possédait la force spirituelle pour dominer la chair. Et pourtant je ne refuse pas, j'appelle au contraire l'aide de la Pleine de Grâce... »600.40.

« Trois : la maîtrise de soi-même et l'endurance de l'offense, charité sublime par dessus tout. (...) Qu'a pu être pour Moi d'avoir avec Moi à ma table celui qui me trahissait, de devoir me donner à lui, de devoir m'humilier à lui, de devoir partager avec lui le calice rituel... »600.41.

« Quatre : le Sacrement opère d'autant plus que l'on est digne de le recevoir (...) En effet quand quelqu'un aime, il tend à réjouir celui qu'il aime. Jean, qui m'aimait comme personne et qui était pur, eut du Sacrement le maximum de transformation... »600.42.

Notes de bas de page

845
Selon la tradition, Zacharie apporta à Vienne une relique que lui avait transmise saint Pierre : la nappe de lin très finsur laquelle Jésus célébra la dernière Cène. Cette relique (la sainte toaille, ou touaille, ou le saint mantil), conservée dans l'église Saint Pierre de Vienne (Rhône), fut authentifiée par plusieurs papes, dont Innocent IV. (Voir .Jean Le Lièvre Histoire de l'antiquité et sainteté de la cité de Vienne en la Gaule1623, page 63 ou encore Maistre, Hommes illustres de la primitive Eglise1874, pages 182 à 184). Elle disparut durant la Révolution française.

846
C'est le charoset(ou harosseth), sauce rituelle couleur de brique, dans laquelle on trempe le pain et les herbes amères (voir aussi MV 634.15).

847
Les traducteurs de ce verset (Lc 22,32) écrivent plutôt « quand tu seras revenu » ou « quand tu seras converti ». La citation de Maria Valtorta semble convaincante d'après le contexte..

848
Luc (Lc 22,38) rapporte que Jésus dit : « C'est assez ». Les exégètes interprètent le plus souvent: « deux épées suffiront à faire apparaître Jésus comme un criminel ». En effet, selon la Loi deux témoignages concordants suffisaient pour constituer une preuve.

849
Aujourd'hui encore, durant le Sedēr, et selon la procédure prescrite par la Haggada, la troisième des quatre coupes rituelles est prise après cette étape du repas.

850
Justement à ce moment du repas, dans le cérémonial du Seder, intervient une ablution (netyllat yadayim) suivie d'une bénédiction.

851
Maria Valtorta note Ps 118, conformément à la numérotation en vigueur alors. C'est maintenant le psaume 119, qui comporte 176 versets.

852
René Laurentin et François-Michel Debroise, (La vie de Marie d'après les révélations des mystiqueséd. Salvator 2011, p.165) notent que les mystiques C. Emmerich, Marie d'Agreda et Consuelo mentionnent également cette participation de Marie à l'Eucharistie durant la Cène. C'est également l'opinion de Sainte Edith Stein, Le secret de la Croix, qui écrit à propos du jeudi Saint : « La Sainte Écriture ne le dit pas, mais il n'y a pas à douter que la Mère de Dieu était présente ».

853
Car Jésus dit à Pierre : « Maintenant c'est encore la première veille»600.23.

854
Arrivés au Gethsémani, Jésus annonce que son arrestation aura lieu « avant que la lune ne soit au sommet de son arc»602.4.c'est-à-dire avant minuit, et il leur faut bien trente minutes pour atteindre le Gethsémani.

📚 Source : L'énigme Valtorta par Jean-François LavèreTome 1Tome 2